Siècle étonnant où le progrès de la veille est déjà en avance sur le progrès du lendemain ! Il dépasse ses progrès d’avance, il anticipe sur l’anticipation.
Il n’est plus interdit de penser que l’homme va arracher bientôt à la nature le secret de ses derniers mystères. Ce n’est plus un songe, c’est pour demain. Au lieu de déplacer des monts, de barrer des vallées, d’engloutir des villages, et d’en noyer le clocher avec le sacristain, au lieu de bâtir des centrales atomiques au prix de ces travaux titanesques et de ces massacres de bovins, l’homme trouvera des recettes si simples qu’elles permettront à un enfant de tirer l’énergie d’un roseau : il fera du feu rien qu’en frottant deux morceaux de bois ; il y en a partout dans la nature ; c’est le miracle à portée de la main.
Qu’on ne se moque pas. Les historiens affirment avec foi, les préhistoriens avec preuves, qu’il y eut de telles civilisations. Chacun avait pour ainsi dire dans son gousset sa propre centrale thermique. Chacun pouvait tout seul et n’importe où, reconstituer la civilisation humaine.
L’homme découvrira dans son corps la possibilité de traverser les fleuves par des combinaisons de mouvements qui le propulseront sur l’eau sans le secours d’aucune embarcation. Il apprendra à faire sortir du coin du sol où il se trouvera, à l’aide de ses seules mains et d’instruments très simples, tout ce qu’il faudra pour le nourrir : des légumes frais, des fruits juteux ; des herbes vénéneuses pour son voisin de palier, purgatives pour son chien fidèle.
Ce sera la fin des navires, des conserves, des astronefs. Il aura dépassé la civilisation du paquebot et de l’obus dans la lune.
En matière zoologique, il dépassera celle de la seringue, de la semence artificielle et de toutes les complications qui entourent la naissance de l’homme d’une odeur de laboratoire depuis l’observation de la parthénogénèse. Il saura découvrir dans son propre organisme des secrets d’insémination qui assureront sa reproduction par un mécanisme très simple.
Il fera lui-même ses enfants.
Peut-être même y prendra-t-il du plaisir.
(La civilisation du Schmilblick – La Montagne – 14 mai 1957)